Arts narratifs
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INTRODUCTION A LA STRATEGIE ENDER

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INTRODUCTION A LA STRATEGIE ENDER Empty INTRODUCTION A LA STRATEGIE ENDER

Message  Casus Belli Mer 14 Mar - 19:38

INTRODUCTION À LA STRATÉGIE ENDER _1985 par Orson Scott Card. Traduit par JOACHIM.

Je ne me sens pas très à l’aise, d’écrire une introduction à La Stratégie Ender. Après tout, cela fait six ans que le livre est imprimé, et durant tout ce temps, personne ne m’a jamais écrit pour me dire, « tu sais, La Stratégie Ender était un livre assez bon, mais tu sais ce qu’il lui manque vraiment ? Une introduction ! » Et maintenant quand un roman est imprimé de nouveau avec une nouvelle couverture, on se doit d’avoir quelque chose de nouveau avec pour marquer le coup (quelque chose d’autre que les modification mineures telles que les erreurs et les contradictions internes et les effets de style excessifs qui m’ont préoccupé depuis que le roman est apparu pour la première fois). Donc soyez rassurés – le roman se suffit à lui-même, et si vous sautez l’intro et allez direct à l’histoire, je ne vais non seulement pas m’y opposer, mais je vous approuverais même !

La nouvelle « Ender’s Game » fut ma première histoire de science-fiction publiée. C’était basé sur l’idée – la salle de combat – qui m’est venue quand j’avais seize ans. Je venais juste de lire la trilogie d’Isaac Asimov Fondation, qui était (plus ou moins) une extrapolation des idées de Gibbon L’Histoire de la Décadence et de la Chute de l’Empire Romain, transposé à un niveau galactique dans un futur lointain.

Le roman m’a préparé, non pas à rêver, mais à penser, ce qui est l’étonnante capacité d’Asimov en tant qu’auteur de fiction. À quoi ressemblerait le futur ? Comment les choses évolueraient ? Qu’est-ce qui ne changerait pas ? L’hypothèse de Fondation semble être que même si vous changez le décor et les acteurs, le scénario de l’histoire humaine se répète. Et pourtant cette hypothèse fondamentale pessimiste (tu veux dire qu’on ne change jamais ?) était nuancée par l’idée d’Asimov qu’un groupe d’humains qui, non pas au travers de modifications génétiques, mais au travers de capacités acquises, sont capables de comprendre et soigner l’esprit des autres.

C’était une idée qui sonnait juste pour moi, dû peut-être en partie par mon éducation mormone et mes croyances : les êtres humains sont peut-être de misérables spécimens, au fond, mais nous pouvons apprendre, et, au travers de l’apprentissage, devenir des personnes respectables.

Ceci étaient des idées qui dansaient dans mon esprit quand je lisais Fondation, recroquevillé sur mon lit – un fin matelas sur un bloc de contreplaqué, un lit que mon père a fait pour moi – dans une chambre en sous-sol dans notre petite maison de randonneurs 650 Est d’Orem, Utah. Et depuis, comme tant d’autres lecteurs de science-fiction pendant des années, j’ai senti le puissant désir d’écrire des histoires qui feront aux autres ce que l’histoire d’Asimov a fait pour moi.

Dans d’autres genres, ce désir est souvent exprimé en produisant des réécritures à peine voilées de grandes œuvres : les disciples de Tolkien bien trop souvent réécrivent du Tolkien, par exemple. En science-fiction, cependant, tout l’enjeu est d’avoir des idées neuves et intrigantes ; tu imites les grands, non pas en réécrivant leurs histoires, mais plutôt en créant des histoires qui sont justes surprenantes et nouvelles.

Mais en quoi sont-elles nouvelles ? Asimov était un scientifique, et s’attaquait à chaque domaine de connaissance d’une façon scientifique – en assimilant des données, en les combinant d’une façon nouvelle et surprenante, prenant en compte ce qu’implique chaque nouvelle idée. Je n’étais pas un scientifique, et probablement pas près d’en être un, du moins un vrai scientifique – pas un physicien, pas un chimiste, pas un biologiste, pas même un ingénieur. Je n’avais aucun don pour les mathématiques et aucune affinité avec, non plus. Bien que je savourais l’étude de la logique et des langues, et que je m’absorbais dans des histoires et des biographies, il ne m’est jamais venu à l’esprit à ce moment que cela était tout aussi prompt à être la source d’histoires de science-fiction que l’étaient l’astronomie et la mécanique quantique.

Mais comment pourrais-je en arriver à une idée de science-fiction ? Qu’est que je savais à propos de n’importe quoi ?

À ce moment mon grand frère Bill était dans l’armée, en poste à Fort Douglas à Salt Lake City ; il était infirmier et soignait une personne d’un accident à vélo, atteinte aux membres inférieurs, cependant, il revenait à la maison les weekends. C’est à ce moment qu’il rencontra sa future femme, Laura Dene Low, lorsqu’il participait à une réunion à l’église sur le campus BYU ; et ce fut Laura qui me donna à lire Fondation. Peut-être, alors, cela s’est fait naturellement d’envisager les choses sous un angle militaire.

Pour moi, pourtant, l’aspect militaire ne signifiait pas la guerre du Vietnam, dans laquelle l’Amérique était alors impliquée au plus haut point. Je n’avais aucune expérience de ça, à part les histoires de Bill et la vie misérable de son entraînement de base, les humiliations des candidats au poste d’officier à l’école, et sa vie solitaire mais épatante en tant que sous-off en Corée. Bien plus ancrée dans mon esprit était mon expérience, cinq ou six ans plus tôt, de lecture du livre en trois volumes de Bruce Catton L’Armée du Potomac. Je me souviens si bien des histoires du commandant dans cette guerre – le combat pour trouver un général de l’Union capable d’utiliser l’armée magnifique de McClellan pour vaincre Lee et Jackson et Stuart, et aussi, finalement, Grant, qui mena à sa perte bien trop de ses soldats, mais qui a fait en sorte que leur mort ne soit pas vaine, en épuisant Lee, en l’empêchant de faire toute manœuvre qu’on ne pourrait défaire. C’est à cause de l’histoire de Catton que j’ai arrêté d’avoir du plaisir à jouer aux échecs, et que j’ai revu les règles du jeu Risk dans le but d’y jouer – je devais comprendre certaines choses de la guerre, et pas seulement dû aux conclusions dont Catton était parvenu. J’ai trouvé un sens à mes propres conclusion dans cette histoire.

J’ai appris que l’histoire est façonnée par l’utilisation qu’on fait du pouvoir, et que différentes personnes, menant la même armée, avec, donc, approximativement le même pouvoir, l’applique tellement différemment que l’armée semble passer d’impétueux soldats à Fredericksburg à lâches paniqués s’enfuyant de tous les côtés à Chancellorsville, puis à gravement déterminés, têtus soldats qui occupent la crête à Gettysburg, et à, finalement, l’armée disciplinée, professionnelle qui réduit à néant Lee dans la campagne de Grant. Ce n’était pas les soldats qui changeaient. C’était le leader. Et même si je ne pouvais pas articuler ce que j’avais compris de l’action de diriger une armée, je savais que j’avais compris. J’ai compris, à un niveau au-delà de la parole, comment un grand leader militaire impose sa volonté à l’ennemi, et fait de sa propre armée une extension de lui-même.

Donc un matin, alors que mon père me conduisit au lycée Brigham Young le long de Carterville Road dans les bas très boisés de la Provo River, je me suis demandé : comment les soldats s’entraîneront dans le futur ? Je ne me suis pas embarrassé aux nouvelles armes à terre – non, ce qui m’occupait l’esprit, après Fondation, était l’espace. Les soldats et les commandants auront à penser très différemment dans l’espace, parce que les idées de haut et de bas ne s’appliqueront tout simplement plus. J’ai lu dans Nordhoff’s et Hall’s history of World War I flying que c’était très perturbant au début pour les nouveaux pilotes d’apprendre à regarder au-dessus et en-dessous d’eux plutôt que juste à droite et à gauche, pour trouver l’ennemi qui approche dans les airs. Combien pire ce serait, alors, d’apprendre à penser sans au-dessus ni en-dessous du tout ?

L’essentiel dans l’entraînement est de se permettre des erreurs sans que cela porte à conséquences. La guerre en environnement à trois dimensions aurait besoin d’un entraînement dans un espace limité, pour que les erreurs n’envoient ceux qui s’entraînent sur Jupiter. Cela requérait la possibilité de s’entraîner au tir sans blesser quiconque ; et pourtant ceux qui s’entraînent et qui seraient « touchés » devraient être paralysés, du moins temporairement. L’environnement aurait à être changeant, pour simuler différentes conditions de guerre – près d’un vaisseau, au milieu de débris, près de minuscules astéroïdes. Et cela aurait besoin de la confusion des batailles réelles, pour que les scènes de combat n’évoluent pas en quelque chose d’aussi rigide et formel que les marches et les manœuvres insensées qui gâchent encore un incroyable temps à ceux qui s’entraînent dans nos entraînements militaires d’aujourd’hui.

Le résultat de mes conjectures ce matin était la salle de combat, exactement comme vous la verrez (ou avez déjà vu) dans ce livre. C’était une bonne idée, et quelque chose dans le genre sera certainement utilisé pour l’entraînement s’il y a des militaires un jour dans l’espace. (quelque chose dans le genre a déjà été utilisé dans différentes salles de jeux partout en Amérique.)

Mais, une fois pensé à la salle de combat, je n’avais pas la moindre idée de façon à la transformer en une histoire. Il m’apparut pour la première fois que l’idée de l’histoire est rien comparée à l’importance de savoir comment trouver un personnage et une histoire à raconter autour de cette idée. Asimov, ayant eu l’idée de mimer La Décadence et la Chute, n’avait toujours pas d’histoire ; son génie – et l’âme de l’histoire – vinrent quand il personnifie son Histoire, faisant du psycho-historien Hari Seldon un Dieu, un planificateur, un prophète apocalyptique de l’histoire. Je n’avais pas un tel personnage, et aucune idée comment en faire un.

Les années passèrent. J’ai eu mon diplôme du lycée comme junior (juste à temps – le lycée de Brigham Young s’arrêta avec la classe de 1968) et je suis allé à l’université de Brigham Young. J’ai commencé à étudier l’archéologie en matière principale, mais j’ai très vite découvert que faire de l’archéologie est d’un ennui sans nom comparé à la lecture des livre de Thor Heyerdahl (Aku-Aku, Kon-Tiki), Yigael Yadin (Masada), et James Michener (The Source) qui m’ont préparé à rêver. Des tessons de poterie ! Mieux vaut être un dentiste que passer sa vie à essayer d’assembler des fragments de vieille poterie dans des déserts sans fin au Moyen Orient.

Depuis ce temps j’ai réalisé que pas même cette demi-science qu’est l’archéologie était faite pour quelqu’un d’aussi impatient que moi, j’étais déjà en immersion dans ma carrière. À ce moment, bien sûr, je me méprenais : je pensais que j’étais au théâtre parce que j’aimais jouer. Et j’aime jouer, ne vous méprenez pas. Donnez-moi des spectateurs et je les tiendrai en haleine aussi longtemps que possible, sur n’importe quel sujet. Mais je ne suis pas un bon acteur, et ma carrière n’allait pas avoir lieu dans le théâtre. En ce temps là, cependant, tout ce qui m’intéressait était de faire de bons scénarios. Diriger. Construire des scènes et faire des costumes et des maquillages.

Et, pardessus tout, réécrire ces scripts mauvais. Je me demandais toujours, Pourquoi le dramaturge n’entend pas à quel point ce dialogue est insipide ? Cette scène pourrait facilement gagner en intensité et être plus pertinente.

Puis je me suis prêté au jeu d’écrire des adaptations de romans pour une classe qui lisait du théâtre, et mon destin était scellé. J’étais un dramaturge.

Les gens venaient voir mes pièces et applaudissaient à la fin. J’ai appris – des acteurs et des spectateurs – comment donner forme à une scène, comment infuser une tension, et – pardessus tout – la nécessité d’être sévère avec ton art, amputer ou réécrire tout ce qui ne va pas. J’ai appris à séparer l’histoire de l’écriture, probablement la chose la plus importante que tout scénariste devrait apprendre – qu’il a y a mille façons de bien raconter une histoire, et dix millions de mauvaises, et vous êtes plus près probablement de trouver une façon mauvaise qu’une bonne façon la première fois que vous vous attaquez au récit.

Mon amour du théâtre a duré même pendant ma mission pour l’église LDS. Même quand j’étais à São Paulo, au Brésil, en tant que missionnaire, j’ai écrit une pièce intitulée Stone Tables au sujet d’une relation entre Moïse et Aaron dans le livre de l’Exode, laquelle s’est jouée pour des spectateurs debout lors de sa première (à laquelle je n’ai pas assisté, étant toujours au Brésil !).

À ce moment, pourtant, mon élan original pour écrire de la science-fiction persistait.

J’ai suivi des cours d’écriture de fiction à l’université, pour lesquels je n’ai jamais je pense écrit de la science-fiction. Mais d’un côté, j’ai commencé une série d’histoires sur des personnes ayant des pouvoirs psy (je n’avais pas l’idée qu’à l’époque c’était un cliché de la SF) et qui devint plus tard The Worthing Saga. J’ai même envoyé une de ces histoires au magazine Analog avant ma mission, et pendant ma mission j’ai écrit plusieurs longues histoires de cette même série (tout comme j’ai fait deux tentatives avec des histoires mainstream).

Durant tout ce temps, la Salle de Combat restait en arrière-plan dans mon esprit. Ce n’est qu’en 1975, cependant, que je l’ai dépoussiérée et que j'ai tenté de l’écrire. Depuis le temps j’avais monté une troupe de théâtre qui a bien marché durant le premier été et puis s’est effondrée sous les coups de malchances et de mauvaise gestion (moi-même) durant l’automne et l’hiver. Je croulais sous les dettes avec mon petit salaire d’éditeur chez BYU Press. Écrire était la seule chose que je savais faire en plus de la relecture et de l’édition. Il était temps de considérer les choses plus sérieusement concernant l’écriture de quelque chose qui pourrait me rapporter de l’argent – et de fait, l’écriture de pièces n’allait pas en faire partie.

En premier lieu j’ai réécrit et envoyé « Tinker », la première de mes histoires « The Worthing Saga » que j’ai écrite et celle qui est la plus pertinente. J’ai reçu une lettre de rejet de Ben Bova d’Analog, qui soulignait qu’on ne sentait pas « Tinker » comme de la science-fiction – plutôt comme de la Fantasy. Donc mon histoire de la Worthing Saga était out pour ces temps-ci.

Qu’est-ce qui restait ? La vieille idée de la Salle de Combat. Il arriva un jour de printemps qu’un ami à moi, Tammy Mikkelson, emmena les enfants de sa patronne au cirque de Salt Lake city ; voudrais-je venir ? Oui je le voulais. Et puisqu’on ne m’avait pas pris d’entrée (et j’ai toujours détesté le cirque de toute façon – les clowns me rendent fou), j’ai passé le temps de la représentation dehors sur la pelouse du Salt Palace avec un carnet de note sur mes genoux, à écrire « Ender’s Game » de la même façon que j’ai écrit mes pièces, en écriture normale sur du papier quadrillé. « Rappelle-toi » disait Ender. « La porte de l’ennemi est en bas ».

Peut-être est-ce à cause des enfants dans la voiture sur le chemin allé que j’ai décidé que ceux qui s’entraînent dans la Salle de Combat étaient si jeunes. Peut-être est-ce parce que moi, à peine un adolescent moi-même, comprenais l’enfance assez bien pour écrire à ce sujet. Ou peut-être est-ce parce que quelque chose m’a impressionné dans le livre de Catton L’Armée du Potomac : que tous les soldats étaient tous si jeunes et innocents. Qu’ils tiraient et embrochaient sur leur baïonnette l’ennemi, et puis filaient par-delà les territoires neutres entre les armées pour échanger du tabac, de la liqueur et de la nourriture, faire des blagues. Même si c’était un jeu mortel, et la souffrance et la peur était terrible et réelle, c’était tout de même un jeu joué par des enfants, pas si différent des jeux de guerre auxquels mon frère et moi avions joué, se lançant chacun des bouteilles d’eau qui giclent.

« Ender’s Game » fut écrit et vendu. Je savais que c’était une histoire forte parce que j’y avais apporté un soin et j’y croyais. Je n’avais aucune idée qu’il aurait l’effet qu’il a eu sur le public amateur de science-fiction. Quand la plupart l’ignorèrent, bien sûr, et continuèrent leur vie pleine de bonheur sans le lire ou sans avoir lu quelque chose de moi, il y avait toujours un groupe surprenant par leur importance qui accueillirent l’histoire avec ferveur.

Ignoré pour le vote du Nebulla, « Ender’s Game » concourut pour le vote du Hugo et termina second. Plus pertinent encore, on m’a décerné le prix John W. Campbell pour le meilleur nouvel écrivain. Sans un doute, « Ender’s Game » n’était pas seulement ma première publication, c’était la promesse d’une carrière lancée.

La même histoire se répéta en 1985, quand je l’écrivis en format roman, maintenant légèrement révisé, la version que vous tenez entre les mains. À ce moment, je pensais que Ender’s Game, le roman, existait seulement pour préparer l’avènement du plus puissant (je pensais) La Voix des Morts. Mais lorsque je finis le roman, je savais que l’histoire avait une nouvelle force. J’ai appris beaucoup, sur la vie et sur l’écriture, dans la décennie qui suivit l’écriture de la nouvelle, et tout se rejoint dans ce livre. La réception fut bonne pour moi : le prix Nebulla et le Hugo, des traductions, et de superbes, régulières ventes qui, pour la première fois dans ma carrière, m’ont fait gagner une avance et m’ont permis de recevoir des royalties.

Mais ce n’était pas juste une question d’être devenu quelque peu culte qui m’a valu un revenu régulier. Il y avait quelque chose de plus dans la façon dont les gens accueillaient Ender’s Game.

D’abord, les gens qui le détestaient, le détestaient vraiment. Les attaques sur le roman – et sur moi – étaient étonnantes. Certaines d’entre elles je m’y attendais – j’ai un diplôme de Master en littérature, et en écrivant Ender’s Game j’ai délibérément évité toutes les petites astuces et stratagèmes qui font une écriture « correcte » au regard d’un lectorat classique : toutes les strates, le sens du roman est à décoder, si vous aimez le jeu du critique littéraire – mais si cela ne vous enchante guère, ça me va. J’ai conçu Ender’s Game pour être aussi clair et accessible que n’importe quel histoire de mon cru pouvait l’être. Mon objectif était que le lecteur n’avait pas besoin d’un background en littérature ni même en science-fiction pour comprendre l’histoire dans sa plus simple, pure forme. Et, puisque beaucoup de grands écrivains et critiques ont basé leur carrière entière sur l’idée que tout ce que le lectorat classique peut comprendre sans médiation ne vaut pas le coup, ce n’est pas surprenant qu’ils trouvent mon humble roman méprisable. Si tout un chacun arrivait à la conclusion qu’une histoire devrait être racontée si clairement, les professeurs de littérature perdraient leur boulot, et les écrivains obscurs, les fictions complexes ne seraient, non pas honorées, mais prises en pitié pour leur impénétrabilité.

Pour certains, cependant, le dégoût pour Ender’s Game va au-delà de l’argument stylistique. Je me rappelle une lettre de l’éditeur d’Isaac Asimov’s Science-Fiction Magazine, dans laquelle une femme qui travaillait comme conseillère d’orientation pour les enfants surdoués a rapporté avoir choisi de lire Ender’s Game parce que son fils n’arrêtait pas de lui dire que c’était un livre merveilleux. Elle l’a lu et l’a haï. Bien sûr, je me suis demandé quel genre de conseillère d’orientation épinglerait en public les goûts de son fils, mais la critique qui m’a le plus interloqué était qu’elle affirmait que ma description des enfants surdoués était sans espoir aucun irréaliste. Ils ne parlent pas comme ça, dit-elle. Ils ne pensent pas comme ça.

Et ce n’était pas juste elle. Il y en a eu d’autres des critiques comme ça. C’est ainsi que j’ai réalisé, que tel qu’il était, Ender’s Game perturbait les gens parce qu’il les confrontait à une réalité. En fait, la clairvoyance du roman est un défi à l’esprit encore plus grand, simplement parce que la vision de l’histoire et du monde est tellement implacablement évidente. Il était important pour elle, et pour les autres, de croire que les enfants ne pensent pas et ne parlent pas de la façon dont les enfants de Ender’s Game pensent et parlent.

Maintenant je sais – je sais – que c’était l’une des choses les plus vraies à propos d’Enders Game. En fait, j’ai réalisé après coup que c’était en effet une des raisons pour lesquelles c’était si important pour moi, ici sur la pelouse en face du Salt Palace, d’écrire une histoire dans laquelle des enfants surdoués s’entraînent au combat dans des guerres qui concernent les adultes. Je me suis senti comme une seule et même personne pendant tout ce temps – la même personne que je suis aujourd’hui. Je n’ai jamais eu l’impression que je parlais de façon enfantine. Je n’ai jamais eu l’impression que mes émotions et mes désirs étaient en quelque sorte moins réels que les émotions et les désirs des adultes. Et en écrivant Ender’s Game, j’ai obligé le lectorat à vivre cette expérience du point de vue de ces enfants – le point de vue selon lequel leurs sentiments et leurs décisions sont tout aussi importants que ceux des adultes.

Mon mauvais côté voulait que je répondes à cette conseillère d’orientation, La seule raison pour laquelle vous ne pensez pas que les enfants surdoués parlent ainsi est parce qu’ils ont mieux à faire que de parler en face de vous de cette façon. Mais la vraie réponse est que Ender’s Game revendique que les enfants aient une personnalité, et celles/ceux qui imaginent les enfants d’une autre façon – spécifiquement celles/ceux dont dépend toute une carrière – sont enclins à ne pas se sentir à l’aise avec le livre Ender’s Game. Les enfants sont une continuelle et auto-renouvelée sous-catégorie de population, sans l’espoir d’échapper aux décisions des adultes jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes eux-mêmes. Et Ender’s Game, vu sous cet angle, pourrait même être une sorte de tract révolutionnaire.

Parce que le livre a bien été perçu comme pertinent par les enfants qui l’ont lu. Le plus bel encensement que j’ai reçu pour un livre dont j’étais l’auteur était lorsque le bibliothécaire de l’école à la Farrer Junior High à Provo Utah, me dit, « vous savez, Ender’s Game est le livre qu’on perd le plus souvent. »

Et puis il y a les lettres. Celle-ci, par exemple, que j’ai reçu en mars 1991 :



Cher Mr Card,

Je vous écris au nom de moi-même et de mes douze amis et étudiants qui m’ont rejoint pour un séjour de deux semaines pour les étudiants surdoués et talentueux à l’université Purdue cet été. On a assisté au cours, « philosophie et science-fiction » enseigné par Peter Robinson, et nous avons entre treize et quinze ans.

Nous sommes tous dans la même situation ; nous sommes intellectuellement très éduqués et avons trouvé peu de personnes chez nous qui partage ce trait. c'est pourquoi, la plupart d'entre nous sont solitaires et ce depuis l'école maternelle. Quand les professeurs te complimentent continuellement tes chances de t'intégrer sont à peu près nulles.
Toute notre vie nous avons inconsciemment vécu avec cette philosophie, "Le seul moyen de te faire respecter et de faire si bien que tu ne puisses plus être ignoré". Et, pour moi et Mike, du moins, "vaincre le système" est le moyen que nous avons choisi pour faire ça.

Tous les deux Mike et moi planifions d'étudier les calculs lors de notre seconde année au lycée, si l'emploi du temps le permet. (Tous les deux sommes intéressés par une carrière en rapport avec les maths/ la science.) Ne vous méprenez pas ; nous sommes tous brillants et les meilleurs de notre classe. Cependant, en choisissant ces voies, la plupart d'entre nous sommes satisfaits de nous-mêmes, mais très seuls.
C'est pourquoi, la Stratégie Ender et La voix des Morts font écho chez nous. Ces livres étaient notre "support" pour le cours. On lisait 100 à 200 pages par nuit et on en discutait (avec d'autres histoires et essais) le jour.

A Purdue ce n'était pas une discussion de cours, cependant.  C'était un groupe d'amis discutant de la façon dont leurs sentiments et leur philosophie correspondaient ou différaient des livres.
Vous ne pouvez pas imaginer l'impact que vos livres ont eu sur nous ; nous sommes les Enders d'aujourd'hui. Presque chaque chose écrite dans la Stratégie Ender est dans la Voix des morts s'applique à chacun d'entre nous à un niveau très, très personnel. Non, la situation n'est pas aussi drastique aujourd'hui mais les sentiments sont là. A la fois vos livres ainsi que l'excellent travail de Peter Robinson, nous ont unis en un dense réseau de personnes.

La lettre d'Ingrid continuait ainsi discutant du Phoenix Rising, le magazine que ces étudiants publiaient ensemble dans le but de maintenir un esprit de groupe.

En réponse je leur ai donné cette introduction à publier dans leur magazine avant son apparition dans le livre.
Bien sûr, je suis toujours content quand les gens aiment une de mes histoires ; mais quelque chose de bien plus important se passe ici. Ces lecteurs ont trouvé que la Stratégie Ender n'était pas simplement une histoire "mythique", faisant état de vérités générales, mais quelque chose de bien plus personnel : pour eux la stratégie Ender était un récit épique, une histoire qui exprimait qui ils étaient en tant que population, une histoire qui les distinguait des autres personnes qui les entourent. Ils n'aimaient pas Ender et n'en prenaient pas pitié (une réponse adulte fréquente) ils étaient Ender, chacun d'entre eux. L'expérience d'Ender n'était pas étrangère ou bizarre pour eux ; dans leur esprit la vie d'Ender faisait écho à la leur. La vérité dans cette histoire n'était pas une vérité générale, mais leur vérité.
Casus Belli
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